La stigmatisation et les discriminations

Mise à jour : 30/09/2024
La stigmatisation et les discriminations
Les personnes vivant avec un trouble psychique sont parfois moins bien considérées. Elles peuvent aussi être défavorisées, comparé à d'autres, au cours de leur vie. Des moyens existent pour l'éviter.

La stigmatisation, qu’est ce que c’est ?

Les personnes vivant avec un trouble psychique peuvent être mal vues par les autres. En effet, le fait d’avoir un trouble psychique peut être considéré par certains comme très négatif, dégradant, et entraîner la mise à l’écart de la personne. Ce phénomène s’appelle la stigmatisation.

La stigmatisation fait souffrir la personne qui la subit. Peut-être même plus que le trouble en lui-même, comme souligné dans une étude britannique : « Les personnes vivant avec des troubles disent souffrir davantage de cette stigmatisation que des symptômes mêmes de la maladie » (Qualitative analysis of mental health service users’ reported experiences of discrimination, 2016).

Par ailleurs, la personne mal considérée est souvent moins bien traitée que d’autres lorsqu’il s’agit d’accéder à un emploi, à des soins, à un logement ou à des services comme les loisirs. Ce traitement moins favorable est qualifié de discrimination.

Faire l’expérience de la stigmatisation ou connaître des discriminations rend la vie plus difficile et ajoute de la souffrance psychique. C’est pourquoi il est important de prendre conscience de ces mécanismes. On peut les subir aussi bien parce qu’on a un trouble psychique, qu’en lien avec sa couleur de peau, son genre, son handicap ou son âge.

Toute personne vivant avec un trouble psychique gagne à comprendre ce qu’est la stigmatisation pour savoir sur quoi agir et de quelle façon, dans le but de moins la subir. De même, tout individu, s’il est averti, peut voir la stigmatisation s’enclencher chez lui ou chez les autres et intervenir pour éviter qu’elle se produise.

Les discriminations, ce que dit la Loi

En France, comme dans d’autres pays, les discriminations sont punies par la loi. Les discriminations sont des actes caractérisés par : 

  • une différence de traitement
  • basés sur un ou plusieurs des 25 critères retenus dans la loi (voir encadré plus bas)
  • entraînant une inégalité d’accès aux biens et aux services.

Depuis 2001, une situation est reconnue comme une discrimination si elle remplit certains critères. Il peut être difficile de savoir si une situation que vous rencontrez – ou dont vous avez connaissance – constitue une discrimination au sens de la loi. Voici la définition qu’en donne le Défenseur des droits, autorité administrative indépendante :

En droit, une discrimination est un traitement défavorable qui doit généralement remplir deux conditions cumulatives : être fondé sur un critère défini par la loi (sexe, âge, handicap…) ET relever d’une situation visée par la loi (accès à un emploi, un service, un logement…). À ce jour, la loi reconnait plus de 25 critères de discrimination. Ainsi, défavoriser une personne en raison de ses origines, son sexe, son âge, son état de santé, son handicap, ses opinions… est interdit par la loi et les conventions internationales auxquelles adhère la France.

La discrimination est également constituée lorsqu’elle prend la forme d’un harcèlement. Il s’agit de comportements ou de remarques répétés liés à un des critères fixés par la loi et qui portent atteinte à l’intégrité d’une personne.

Quand la société produit des discriminations

Parfois, c’est le comportement d’un individu vis-à-vis d’un autre qui entraîne une discrimination. Par exemple, une personne se présente aux urgences d’un hôpital pour de fortes douleurs au ventre. A l’accueil, l’infirmier reconnaît, au tremblement de ses bras et à la raideur de sa démarche, certains effets secondaires des médicaments neuroleptiques. Il lui demande si elle est suivie pour un trouble psychique. A la suite de sa réponse affirmative, il refuse de la prendre en charge pour ses douleurs, pourtant physiques, et l’oriente vers les urgences psychiatriques.  

D’autres fois, ce n’est pas la relation entre deux individus qui est en cause mais la manière dont la société est organisée. En effet, la société est régie par des institutions comme l’école, les hôpitaux, la justice ou la police. Ces structures génèrent parfois une inégalité de traitement entre les personnes. Les chercheurs parlent de discrimination « institutionnelle » faisant référence au fonctionnement des institutions et des organisations. Par exemple, un enfant avec des troubles du comportement se retrouve scolarisé à la maison, faute d’un accompagnement adapté à ses besoins dans le système scolaire ordinaire.

A l’échelle de la société toute entière, on retrouve une discrimination dite « structurelle ». Celle-ci est ancrée dans la culture qui s’est construite à travers l’Histoire de notre pays et qui se transmet, entre autres, par les médias. Par exemple, les personnes dépressives sont souvent confrontées au préjugé selon lequel elles manquent de volonté et qu’il leur suffirait de se secouer un peu pour aller mieux.

On parle aujourd’hui d’une discrimination « systémique », à l’échelle d’un pays ou d’une organisation. La notion de système permet d’englober à la fois les actions des individus et le fonctionnement des structures.

Les formes de discrimination liées aux institutions ou à la culture sont beaucoup moins visibles que les autres. Pourtant, à la manière d’un iceberg dont on ne voit que la partie émergée, elles forment la base qui permet aux discriminations les plus flagrantes de se produire.

Le colloque virtuel organisé en 2020 par le Centre hospitalier de Rouffach (Haut-Rhin) sur le thème Santé mentale et discriminations permet de comprendre comment les discriminations génèrent et majorent les problèmes de santé mentale. “Toute discrimination est une violence“, explique Aude Caria, directrice de Psycom, dans la vidéo de l’événement, programmé durant les Semaines d’information sur la santé mentale. 

La santé mentale, source de stigmatisation

Vis-à-vis des personnes suivies en psychiatrie

Les personnes qui rencontrent un problème de santé mentale ou qui sont suivies en psychiatrie sont généralement moins bien considérées. Leur image sociale est dévalorisée. Les études sur la stigmatisation dressent à ce sujet un constat accablant. Ces recherches montrent aussi que les préjugés vis-à-vis des troubles psychiques et de la psychiatrie ont un impact majeur sur la vie des personnes concernées.

Cette stigmatisation peut se matérialiser par un acte discriminatoire comme le refus d’accès à un service (par exemple, l’inscription à un club de sport), un droit (par exemple, exercer son droit de vote en période d’hospitalisation) ou un bien (par exemple, l’achat d’une maison). Rappelons que ces actes sont punis au pénal (la branche du droit traitant des conduites que la société réprime) dans le cadre de la lutte contre les discriminations. Les peines encourues incluent des amendes et des années d’emprisonnement.  

La stigmatisation peut aussi se manifester sous des formes qui échappent à la loi définissant les discriminations. Nous pouvons ainsi être confrontés au rejet, à la mise à l’écart, nous retrouver isolés. Nous pouvons subir des micro-agressions, c’est à dire une répétition de propos, commentaires ou remarques qui se voudraient insignifiants et nous rappellent pourtant sans cesse que ce que nous sommes ne correspond pas à la norme. Cela peut toucher aussi bien les relations intimes que les relations amicales ou professionnelles.

Même si la justice ne prend pas en compte de telles situations, cette stigmatisation est également lourde de conséquences. Elle amène bien souvent les personnes concernées par un trouble psychique à cacher leur situation, comme le montre l’étude réalisée en France chez des personnes ayant reçu le diagnostic de schizophrénie (La discrimination vécue par les personnes ayant reçu un diagnostic de troubles schizophréniques, 2010).

Au-delà des personnes vivant avec des troubles psychiques, la stigmatisation s’étend à leurs proches et au monde de la psychiatrie dans son ensemble. Les établissements tels que les hôpitaux psychiatriques, ainsi que les individus qui y travaillent, sont mal considérés par une grande partie de la société. Il en résulte une méfiance vis-à-vis de ces lieux, dommageable car elle entraîne un retard d’accès aux soins pour les personnes qui en auraient besoin.

Vis-à-vis des personnes qui pourraient consulter un psy

On parle de plus en plus de santé mentale dans les médias, les livres, le cinéma, les séries et sur les réseaux sociaux. Les conseils abondent, les témoignages se multiplient. Le tabou se lèverait-il ? A y regarder de plus près, ce n’est pas tout à fait le cas. Quand il s’agit de notre propre santé mentale, surtout quand elle n’est pas à son meilleur, on garde le plus souvent le silence.

Il reste plus facile d’encourager les autres à consulter un psy, que de faire la démarche soi-même. Selon plusieurs enquêtes, un grand nombre de personnes conseillerait à un proche de consulter, alors que les trois quart des Français ne consultent pas eux-mêmes (Enquête Santé mentale en population générale, CCOMS 2005, sondage TNS Sofres pour Psychologies magazine 2013, sondage Médiaprism 2014).

Si nous ne sommes pas prêts à prendre soin de notre santé mentale, c’est sans doute parce que la société porte un jugement sévère sur celles et ceux qui le font ouvertement. Demander de l’aide reste synonyme de faiblesse, aller voir un psy est encore tabou. La peur d’être étiqueté « malade psy » et les problèmes qui peuvent en découler – par exemple pour garder son travail ou en trouver un – sont généralement plus forts que le désir de partager ses difficultés.

Ce phénomène a pour effet de renforcer la distance sociale entre les personnes qui disent connaître des problèmes de santé mentale et celles qui le taisent. En évitant d’en parler, nous entrons sans nous en rendre compte dans un mode de pensée qui consiste à distinguer le « eux » (ceux qui subissent le jugement de la société) du « nous » (qui restons à l’abri). L’idée que nous pourrions changer de catégorie rend plus difficile encore la démarche consistant à dévoiler nos problèmes. Dans tous les cas, en parler ou ne pas en parler reste un choix personnel et respectable. 

Vis-à-vis de nous-mêmes

Tous ces phénomènes de stigmatisation à l’échelle de la société entraînent une forme beaucoup moins consciente de stigmatisation, qu’on appelle l’auto-stigmatisation. Celle-ci trouve son origine dans des croyances négatives sur soi-même, suscitant une faible estime de soi. Ce processus mental est particulièrement actif chez les personnes qui souffrent psychiquement.

Or l’auto-stigmatisation amène la personne à se limiter dans des activités importantes pour elle. Par exemple, elle va renoncer à postuler à un emploi bien qu’elle possède les qualifications requises, estimant que d’autres seront bien plus compétents pour le poste. La chercheuse Stéphanie Park a identifié de nombreuses conséquences à ce phénomène : l’isolement social, les attitudes de retrait et l’inhibition (c’est à dire une grande timidité), la tendance à se dénigrer, le sentiment de honte, de culpabilité, l’attente permanente d’être mis à l’écart et rejeté, la perte de l’espoir d’une guérison (Internalized stigma in schizophrenia: relations with dysfunctional attitudes, symptoms, and quality of life, 2013).

Comment la stigmatisation s’enclenche dans notre tête

Il nous arrive, à toutes et tous, de stigmatiser une personne ou un groupe de personnes. Nous ne nous en rendons pas forcément compte. Nous n’avons d’ailleurs pas conscience des étapes par lesquelles nous passons au cours de ce processus mental. Il est utile de les connaître car alors, nous pouvons trouver des moyens d’agir pour éviter que cela se reproduise trop souvent.

Tout commence avec le « stigmate »

Le point de départ du processus est l’identification, chez la personne ou le groupe, d’un « stigmate », comme l’expliquent les scientifiques (notamment Lionel Lacaze dans son article Le stigmate, « une seconde maladie » ? 2012). Il s’agit d’un signe visible qui peut être un marqueur, c’est-à-dire une caractéristique que l’on remarque, par exemple un bégaiement, ou un comportement, comme le fait de parler tout seul.  

L’étape suivante est celle du « stéréotypage ». Cela consiste à attribuer à ce stigmate des qualificatifs réducteurs, le plus souvent infondés. Par exemple, nous allons associer la personne qui parle toute seule à quelqu’un de dangereux. Ou bien, nous allons associer la personne qui répète une série de gestes à quelqu’un d’idiot. Ces associations, nous les avons fabriquées au contact des groupes sociaux auxquels nous appartenons ou avons appartenu, comme notre famille, nos amis, notre corps de métier. Les médias et la culture dans laquelle nous évoluons jouent aussi un rôle. Les qualificatifs ainsi appliqués représentent ce que l’on appelle des stéréotypes.

La troisième et dernière étape de la stigmatisation est celle de la « séparation ». Elle est l’aboutissement du processus de catégorisation qui distingue cet autre, porteur d’un stigmate auquel j’applique un stéréotype, de moi-même. Je vais penser, par exemple : « d’un côté il y a les fous, de l’autre les sains d’esprit comme moi ».

Ces 3 étapes s’enchainent très rapidement dans notre tête. Le cycle complet favorise des actes tels que le rejet, les agressions, les discriminations.

Pourquoi nous stigmatisons sans le vouloir

La stigmatisation découle, surtout, de nos représentations sociales. Il s’agit de la manière dont nous rassemblons, autour d’un groupe de personnes (les femmes, les homosexuels, les jeunes d’origine maghrébine, les dépressifs…), un ensemble de stéréotypes. Nous estimerons par exemple que les femmes sont douces et émotives, ou que les personnes dépressives sont fragiles et dénuées d’humour. 

Nous construisons nos représentations sociales à travers notre éducation, notre environnement social et culturel, nos expériences. Elles intègrent, aussi, nos valeurs personnelles. Elles sont nécessaires pour chacun et chacune d’entre nous car elles assurent plusieurs fonctions essentielles.

  1. Une fonction cognitive : ces représentations nous permettent de réfléchir vite.
    En effet, il serait trop long et trop coûteux, pour notre cerveau, de décoder tous les événements nouveaux qui surviennent autour de nous en détail et dans leur complexité. A la place, nous allons piocher dans une sorte de « bibliothèque de pensées », construite par nos soins, la pensée qui colle le mieux avec l’événement auquel nous assistons. Ce procédé permet de nous sentir moins déstabilisés face à l’inconnu.
  2. Une fonction sociale : ces représentations nous lient aux autres.
    Elles me permettent de me reconnaître comme appartenant à un groupe avec lequel je partage ces représentations. Si je les remets en question, je me mets en danger dans ma relation aux autres. Le groupe peut considérer que je m’oppose et m’exclure.
  3. Une fonction identitaire : ces représentations fondent notre identité.
    Elles permettent à l’individu qui les exprime d’indiquer qui il est. Elles englobent ses croyances, ses convictions, ses valeurs. L’expression latine le dit bien : « Cogito ergo sum », je pense donc je suis. Si je les remets en question, je prends le risque d’ébranler toute ma personne.

Aussi, nous ne sommes pas prêts à remettre en question du jour au lendemain nos représentations sociales, même si elles nous amènent à stigmatiser sans le vouloir.

Que faire pour éviter de stigmatiser

Une fois que nous avons pris conscience de ce qui se passe dans notre tête, nous pouvons décider d’agir pour éviter de stigmatiser des personnes que nous rencontrons. Ce n’est pas simple, car cela implique de changer le regard que nous portons sur ces personnes et donc, certaines de nos représentations sociales. Or celles-ci sont robustes, par nature. De plus, devoir y renoncer peut nous secouer et provoquer chez nous des réactions de colère (« Où est la vérité ?! ») ou de peur (« Le monde n’est pas tel que je l’avais imaginé… »).

Bien souvent, la simple volonté ne suffit pas à surmonter les résistances décrites plus haut. Il nous faut trouver, en plus, des bénéfices à faire cet effort important, autrement dit une motivation. Elle sera différente pour chacune et chacun d’entre nous. Pour les citoyennes et les citoyens, cela pourrait être l’envie de vivre dans une société où il est possible de dévoiler nos vulnérabilités sans risquer la réprobation. Pour une psychiatre ou un infirmier, ce sera peut-être d’améliorer la relation avec ses patients.

Une fois que nous en voyons les bénéfices, nous devons être guidés si nous voulons aboutir à un résultat. En effet, la « bibliothèque de pensées » toutes prêtes qui nous permet de réfléchir vite se construit très tôt dans la vie, dès la petite enfance. Nous grandissons avec ces repères. Par la suite, si nous voulons nuancer ou modifier ces croyances simplifiées, nous devons nous informer, apprendre et nous confronter à d’autres points de vue.

Pour nous y aider, nous pouvons regarder des vidéos, écouter des podcasts ou lire des articles qui traitent de la stigmatisation. Nous pouvons aussi nous former. Surtout, nous apprendrons beaucoup au contact de personnes ayant cheminé sur cette question, notamment parce qu’elles sont touchées personnellement par le racisme, le sexisme, ou encore la stigmatisation du handicap. Nous pouvons trouver ces personnes dans notre entourage, ou encore nous rendre à des conférences où elles prennent la parole.

Nous pouvons choisir, ensuite, de rejoindre des actions collectives menées pour lutter contre la stigmatisation des personnes vivant avec un trouble psychique, ou encore les organiser, par exemple pendant les Semaines d’information sur la santé mentale. Celles-ci peuvent prendre la forme d’une exposition photo, de rencontres avec des personnes concernées, ou encore la réalisation de vidéos.

Afin de rendre ces actions efficaces, nous pouvons jouer sur plusieurs leviers qui ont été identifiés grâce aux recherches en sciences sociales. Ces leviers sont décrits en détail dans l’outil développé par Psycom, le GPS Anti-Stigma.

Cet article a été écrit par Sophie Arfeuillère et Estelle Saget (Psycom).

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Sophie Arfeuillère déclare ne pas avoir de liens d’intérêts avec des entreprises fabriquant ou commercialisant des produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux, matériel médical, e-santé, marketing médical, etc.).

Estelle Saget déclare ne pas avoir de liens d’intérêts avec des entreprises fabriquant ou commercialisant des produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux, matériel médical, e-santé, marketing médical, etc.).

Ces déclarations peuvent être vérifiées sur la Base Transparence Santé du Ministère de la Santé.

Psycom est co-animateur du groupe de travail du ministère de la Santé sur la stigmatisation des troubles psychiques. Le bureau Santé mentale de la Direction générale de la santé (DGS) est l’autre co-animateur. Ce groupe est à l’origine du GPS Anti-Stigma.