Davantage de médicaments prescrits aux enfants qui vont mal
[VU SUR LE WEB] Le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) a rendu public le 13 mars un rapport intitulé « Quand les enfants vont mal : comment les aider ? ». Ce document fait état d’une hausse importante depuis dix ans de la prescription de médicaments psychotropes comme les antidépresseurs ou les somnifères chez les 6-17 ans. Il dresse par ailleurs le constat de l’insuffisance de l’offre de soins pour les enfants et les adolescents, face à des besoins accrus. Et conclut à une “sur-médication” des enfants, estimant qu’il existe un lien de cause à effet entre les deux.
Le rapport du HCFEA, instance consultative placée auprès de la Première ministre, a suscité des réactions nombreuses et contrastées, certaines élogieuses et d’autres très critiques. La position du Haut conseil gagne à être décryptée, en prenant en compte les différents courants de pensée traversant le monde de la santé mentale.
Les chiffres, puisés notamment auprès de l’Assurance Maladie et de l’Agence nationale de sécurité du médicament, ne sont pas contestés. La progression la plus importante concerne les hypnotiques et les sédatifs (somnifères), dont la consommation a augmenté de 155 % entre 2014 et 2021. Les psychostimulants (méthylphénidate, tel que la Ritaline®), prescrits dans le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité ou TDAH, ont connu une augmentation de 78%.
- Lire l’article sur France Info
- Lire la note de synthèse ou le rapport sur le site du HCFEA
De même, le constat d’une offre de soins trop limitée est partagé par tous. Sur France Inter, une auditrice a souligné : “Il n’y a plus de place dans les hôpitaux psychiatriques”. La pédopsychiatre Amandine Buffière a répondu : “Je sais. En plus il y a de fortes inégalités territoriales. A Paris, vous aurez peut-être la chance d’avoir une consultation en 3 à 6 mois. En Normandie ou dans le Centre de la France, ce sera 1 an et demi à 2 ans, pour un enfant ou un ado qui ne va pas bien. Ça n’a aucun sens”.
- Ecouter le 13/14 consacré à la santé mentale des jeunes, avec les Dres Delphine Guérin et Amandine Buffière, sur France Inter
La polémique concerne, pour l’essentiel, la conclusion tirée par le HCFEA d’une “sur-médication” des enfants en France. Autrement dit, selon cette instance, de nombreux enfants recevraient des médicaments alors qu’ils n’en auraient pas besoin.
Les membres du Haut conseil n’ont pas étudié les causes de l’augmentation de la prescription des psychotropes. Parmi les explications possibles : on dépiste davantage qu’avant, chez les enfants, les troubles psychiques et les troubles du neurodéveloppement (TND, tel le TDAH). Cette hypothèse, non évoquée dans le rapport, a été avancée très vite dans les médias.
La secrétaire d’État chargée de l’Enfance, Charlotte Caubel, la retient – parmi d’autres. ” La France avait un fort retard en termes de diagnostic (…), a-t-elle déclaré à L’Express. Puisque plus d’enfants sont repérés, plus de jeunes patients sont soignés, notamment avec des médicaments”.
- Lire l’entretien avec Charlotte Caubel publié le 16 mars sur L’Express
Cette explication ne convainc pas la présidente du Conseil de l’enfance et de l’adolescence, l’un des 3 qui composent le HCFEA. “Cet argument ne tient pas, parce que si on dépistait mieux, nous pourrions à la fois, peut-être prescrire plus de médicaments, mais aussi développer d’autres formes d’aide et de soins, a répondu Sylviane Giampino, psychologue et psychanalyste, au Huffington Post. Or, ce n’est pas le cas. Ce qui est au cœur du rapport du Conseil de l’enfance, c’est le déséquilibre entre l’augmentation des réponses médicamenteuses, au détriment des réponses non médicamenteuses. Alors oui, on dépiste quand même mieux qu’avant. Mais l’ensemble des professionnels qui entourent les enfants en France sont démunis.”
- Lire l’entretien avec Sylviane Giampino sur le Huffington Post
Une autre explication à la hausse des prescriptions, celle retenue par le HCFEA, est la suivante : on prescrit aux enfants des médicaments faute de pouvoir leur proposer un accompagnement mobilisant davantage de professionnels, par exemple une psychothérapie. C’est la thèse exposée dans le média The Conversation par deux chercheurs ayant participé aux travaux du Haut conseil.
Selon Sébastien Ponnou, psychanalyste et maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Rouen Normandie, et Xavier Briffault, chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au CNRS, “la sur-médication dépasse toutes les bornes scientifiques”. Les chercheurs s’interrogent notamment sur le fait que les enfants de classes sociales défavorisées se voient prescrire plus de psychotropes.
- Lire leur article sur The Conversation
La polémique s’inscrit aussi dans l’opposition entre différents courants en psychiatrie. On le comprend mieux au vu des réactions tranchées sur Twitter. Le 14 mars, le psychanalyste Jean-François Cottes tweete “A propos de l’excellent rapport du HCFEA, une critique de la surmédicalisation, du tout neuro, et une réhabilitation de la psychanalyse”. Le 15 mars, le neuroscientifique Franck Ramus écrit : “Déjà 2 pédopsychiatres atterrés qui m’envoient ce rapport moisi du HCFEA imbibé de psychanalyse, qui promeut une vision complètement biaisée et anachronique de la santé mentale de l’enfant, en contradiction complète avec la Haute autorité de santé”.
Plusieurs pédopsychiatres ont réagi dans les médias en apportant un regard critique sur le rapport. Parmi eux, OIivier Bonnot, pédopsychiatre au CHU de Nantes et secrétaire général du Collège national des universitaires de psychiatrie. “Les médicaments sont une partie des axes thérapeutiques à notre disposition, a-t-il écrit sur Twitter. Les diaboliser est stigmatisant voire idéologique.”
- Lire l’entretien avec Olivier Bonnot sur Le Figaro
De son côté, l’association de patients HyperSupers TDAH-France demande que “ce rapport fasse l’objet d’une révision critique par des experts reconnus en santé publique sur le plan national et international dans le domaine des TND et en particulier du TDAH ainsi que par les patients et leurs représentants”.
- Lire le communiqué publié le 15 mars sur le site de HyperSupers TDAH-France
Un point de vue encore différent sur la “médicalisation” durant l’enfance est proposé par deux thérapeutes, spécialistes de la thérapie brève selon l’Ecole de Palo Alto. Dans leur livre “Nos enfants sous microscope”, sous-titré “TDA/H, hauts potentiels, multi-dys & Cie : comment stopper l’épidémie de diagnostics” (Payot, 2021), Emmanuelle Piquet et Alessandro Elia examinent comment le concept d’une “enfance anormale” s’est construit en France depuis les années 1900.
La chercheuse canadienne Marie-Christine Brault, dans son compte-rendu consacré à cet ouvrage, résume ainsi le point de vue des auteurs sur la situation actuelle : “Cette médicalisation survient alors que les adultes scrutent les enfants à l’aide d’un point de vue de plus en plus biomédical où les écarts aux attentes et à la norme sont vus comme pathologiques”.
- Lire ce compte-rendu de lecture sur le site de l’Université du Québec à Chicoutimi