Quatre patients en soins sans consentement à l’hôpital psychiatrique Gérard-Marchant à Toulouse (Haute-Garonne) sont sortis de l’établissement sans autorisation dans la période du 19 janvier au 13 février. Le premier a été interpellé après avoir agressé une femme dans le centre-ville, un événement qui a suscité une forte émotion et des inquiétudes concernant la sécurité des citoyens. Dans les médias, cet homme a souvent été désigné comme “le cannibale des Pyrénées”, surnom qui lui avait été attribué après un meurtre perpétré dans sa région d’origine en 2013. Les autres patients ont été retrouvés et reconduits à l’hôpital.
La communication autour de ces “fugues” – pour reprendre le terme utilisé le plus couramment – ainsi que la manière dont les médias en ont rendu compte, ont suscité les réactions de nombreux acteurs de la santé mentale. Ceux-ci s’inquiètent du risque d’une stigmatisation accrue des personnes vivant avec un trouble psychique, à travers le vocabulaire employé mais aussi l’amalgame fait entre dangerosité et troubles psychiques.
Des mots pouvant passer pour des synonymes induisent en fait des représentations différentes dans l’esprit de la personne qui reçoit l’information. Pour désigner les événements de Toulouse, les médias, les élus, l’Agence régionale de santé (ARS), la direction de l’hôpital Marchant ou la présidence de la commission médicale d’établissement ont tour à tour employé le terme de “fugues”. Les dictionnaires Le Robert définissent ce mot ainsi : “Action, fait de s’enfuir momentanément du lieu où l’on vit habituellement”. Il s’applique le plus souvent à un enfant ou un adolescent qui fuit le domicile familial. De ce fait, son utilisation concernant des patients hospitalisés suggère une certaine forme d’infantilisation.
Dans son communiqué du 4 février, la direction de l’hôpital Marchant a employé d’autres termes pour décrire la situation, évoquant “un patient sorti de l’hôpital sans autorisation”. Les termes prennent pour référence la loi de 2011 sur les soins sans consentement. Dans cette modalité de soins, en effet, toute sortie de l’établissement doit être autorisée par un psychiatre. Cette formulation alternative, plus neutre, est aussi plus administrative. Montrant ainsi les limites du vocabulaire actuel, aucun autre mot du langage courant ne paraissant pouvoir remplacer celui de “fugue”.
- Voir comment s’est exprimée la direction de l’hôpital dans le quotidien régional La Dépêche du midi
Lors de la couverture de ces événements, certains médias ont parlé “d’évasion” ou de “fuite”. Or ces deux derniers mots sont rattachés, dans l’imaginaire collectif, à l’univers des prisons et non à celui des hôpitaux. Leur utilisation participe à la stigmatisation des patients et des soignants qui se trouvent tous ensemble, par le biais de ce vocabulaire, mis au banc de la société.
“Les hôpitaux ne sont pas des prisons destinées à éviter les “évasions”, les soignants ne sont pas des gardiens dont il s’agirait de tromper la vigilance, et les personnes souffrant de troubles psychiatriques n’ont pas à être écartées à jamais de la société”, réagissaient le 1er février dans un communiqué commun 14 représentants des soignants, des usagers (Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie, FNAPSY) et des proches (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques, UNAFAM), en réaction aux événements de Toulouse.
Plus loin, le communiqué pointe l’attribution du surnom au premier patient et ses conséquences : la stigmatisation, pour lui mais aussi pour l’ensemble des personnes vivant avec un trouble psychique. “Utiliser des surnoms simplificateurs malveillants et deshumanisants déshonorent ceux qui les créent et les propagent et réduit à néant des années de travail de déstigmatisation de ceux qui souffrent et de ceux qui tentent de soigner. Dans ce long chemin vers la déstigmatisation nous avons besoin du soutien et de la compréhension du monde des médias et des politiques.”
Avec les événements de Toulouse, on a vu réapparaître le rapprochement récurrent, bien qu’erroné, entre schizophrénie et dangerosité. “Les personnes atteintes de troubles mentaux présentant des états dangereux sont rares au regard de la fréquence de ces troubles, et leur représentation parmi les criminels est faible (moins de 10% des crimes sont commis par des personnes atteintes de troubles psychiques par exemple), écrit la section Psychiatrie légale de l’Association française de psychiatrie biologique et de neuropsychopharmacologie (AFPBN) dans son communiqué du 1er février. En outre, ces malades sont beaucoup plus souvent victimes qu’auteurs de crimes ou délits et représentent une population vulnérable.”
Sur la question de la dangerosité, le syndicat Sud de l’hôpital Marchant avait pris position dès le 25 janvier. “La manière dont une partie de la presse tend à mettre en lumière les événements de ses derniers jours nous fait craindre une remise au goût du jour d’une vieille idée réactionnaire issue des heures les plus sombres de notre histoire qui voudrait que les patients atteints de trouble psychiques restent à l’asile, écrit-il dans son communiqué. Cela est contraire aux droits fondamentaux et l’on déplore que ce fantasme de l’enfermement des « fous » refasse si facilement surface au premier fait divers, tragique certes, mais qui ne doit pas questionner notre choix de société démocratique.”