[VU SUR LE WEB] La Haute autorité de santé (HAS) s’apprête à publier sa recommandation de bonnes pratiques sur l’intervention auprès des personnes sans abri, quand celles-ci sont concernées par un trouble psychique. On saura alors si les pairs-aidants y figurent, ou non, en bonne place. En effet, cette mention, qui viendrait officialiser leur rôle, a déclenché une tempête dans le milieu de la psychiatrie durant tout le mois de décembre 2023.
A coup de lettres ouvertes et de communiqués, de nombreux acteurs de la santé mentale ont pris parti sur le thème : ces anciens patients rétablis de leur trouble psychique, en poste dans des équipes de soins, sont-ils des professionnels à part entière ? Dit autrement, peut-on considérer la pair-aidance comme un “vrai” métier ? La polémique, en tout cas, a mis en lumière une fonction qui prend peu à peu sa place dans les hôpitaux et autres structures de la psychiatrie.
Retour en arrière, au 1er décembre 2023. Trois psychiatres publient une lettre ouverte au président de la HAS annonçant qu’ils se “désolidarisent” de la recommandation à paraître sur “grande précarité et troubles psychiques”. “Nous n’avons pas été entendus quant au traitement de la pair-aidance dans cette recommandation”, écrivent-ils. Alain Mercuel co-préside le groupe de travail chargé de la rédiger, tandis que Yvan Halimi et Jean-Louis Senon exercent d’autres mandats en tant qu’experts auprès de la HAS.
Très vite, une nouvelle lettre ouverte au même destinataire est rédigée par trois membres du comité de suivi de la HAS sur “psychiatrie et santé mentale”, lequel est présidé par Yvan Halimi. Les signataires, soutenus par des acteurs des différents champs de la santé mentale, font part de leur “indignation”. Ils suggèrent notamment “une évolution de la composition de [ce comité de suivi], […] loin des conservatismes exprimés” et proposent d’y intégrer des pairs aidants.
Un groupe voit alors le jour, se définissant en tant que “collectif de pair-aidant.e.s attaché.e.s à la valorisation de notre métier en devenir”. Le 11 décembre, ces 8 professionnels adressent à leur tour un courrier au président de la HAS, réagissant notamment à un passage de la lettre initiale soulignant “leur vulnérabilité psychique particulière, inhérente à leur pathologie”. Ils écrivent : “Nous sommes des professionnels de santé (psychique, addictologique, somatique et/ou sociale) et non pas des usagers. Il est crucial de rappeler que notre vulnérabilité psychique est rattachée à notre vie privée.”
- Lire la lettre sur le compte LinkedIn de l’association Esper-pro
Le 12 décembre, l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA) prend position. Elle “soutient la pair-aidance” et conclut : “Nous réaffirmons ici notre souhait d’une psychiatrie […] inscrite dans son époque“.
- Lire le communiqué sur le site de l’AJPJA
Cette polémique montre à quel point la pair-aidance a bousculé les mentalités en psychiatrie au cours des dernières années. La pair-aidante ou le pair-aidant utilise ses connaissances et son expérience personnelle du rétablissement pour aider ses pairs. Ayant pris du recul par rapport à sa propre histoire, il ou elle est en position de soutenir d’autres personnes, par exemple lors d’entretiens individuels. “La pratique restée longtemps informelle et bénévole se professionnalise”, notait Nolwenn Jaumouillé dans Le Figaro en septembre 2023. La journaliste cite François, pair-aidant, estimant qu’être formé lui a « donné une légitimité vis-à-vis des soignants», dont il se sent complémentaire.
A l’origine des changements constatés en France dans la pratique de la pair-aidance, on trouve les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les pair-aidants “complètent les services officiels et sont indispensables pour garantir un environnement bénéfique aux personnes ayant des problèmes de santé mentale”, indique l’OMS dans son Rapport mondial sur la santé mentale de 2022. Le Centre collaborateur de l’OMS (CCOMS), service de l’EPSM Lille métropole, vient de publier une revue de la littérature scientifique actualisée, dont les données sont favorables à l’intégration de travailleurs pairs.
- Lire le communiqué sur le site du CCOMS
Aujourd’hui, des pairs aidants en santé mentale occupent des emplois salariés ou réalisent des missions rémunérées en tant qu’indépendants. L’union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé, France Assos Santé, dressait l’an dernier un bilan, dix ans après l’ouverture des premiers postes de médiateurs de santé pair en France, titrant “Pairs en psychiatrie, une place légitime“. Dans cet article, Alain Dannet, porte-parole du CCOMS, notait : “Cela reste toujours un peu expérimental et, même s’il y a moins de controverses qu’il y a dix ans, il y a encore des résistances dans les services de psychiatrie”.