Mal-être des ados : les filles, plus touchées que les garçons

Publié le 29/04/2024
Une étude de Santé publique France montre que l'écart entre les genres se creuse. Pression des réseaux sociaux ? Persistance du sexisme ? Plusieurs pistes sont explorées.

[REVUE DE PRESSE] La santé mentale des adolescents se dégrade en France, et le phénomène serait plus marqué chez les filles. Elles présenteraient un niveau de bien-être moins élevé que les garçons. De plus, l’écart entre filles et garçons se creuserait sur la période 2018-2022. Ces résultats sont tirés de l’étude publiée le 9 avril par Santé publique France (SPF). Les chiffres conduisent médias et experts à s’interroger sur les causes, ainsi que les moyens d’agir. 

Chez les lycéens, un quart des participants à l’étude (24%) a déclaré avoir eu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois. Les filles sont nettement plus concernées que les garçons, à 31% contre 17%.

Baptisée EnCLASS,  cette enquête nationale a été conduite par l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), en partenariat avec les services de l’Éducation nationale. Elle a permis de recueillir des données auprès de 9337 élèves du secondaire en 2022.

Cette étude va dans le même sens que le constat de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, service statistique public). “En 2022, la forte hausse des hospitalisations pour geste auto-infligé chez les jeunes filles se confirme”, indiquait son communiqué du 5 février- ce geste pouvant être une tentative de suicide ou une automutilation. 

  • Consulter le communiqué sur le site de la Drees

Il n’y a pas une seule raison à la dégradation, chez les adolescents, de l’indice de bien-être psychologique défini par l’Organisation mondiale de la santé. “Pandémie de Covid-19, conflits armés, attentats, crise climatique, pression scolaire, risques liés à internet et à l’utilisation des médias sociaux sont autant de facteurs de risque qui pourraient contribuer à expliquer que la santé mentale des jeunes s’est nettement dégradée” écrit SPF. L’étude n’exclut pas que les chiffres reflètent aussi une plus grande facilité à exprimer leur souffrance.

Qu’en est-il de l’écart qui se creuse entre les filles et les garçons ? L’étude n’aborde pas les causes possibles. Mais il existe d’autres données qui permettent d’éclairer cette question. “Les filles sont plus touchées par les représentations stéréotypées de genre, écrit le journaliste Adrien Palluet dans Pour l’éco, le média destiné aux lycéens. Ces images sont amplifiées sur les réseaux sociaux et renforcent des injonctions à une féminité idéalisée qui peuvent être sources de stress et de mal-être”. 

Aux Etats-Unis, on observe ce même décalage entre filles et garçons durant l’adolescence.  La journaliste scientifique américaine Donna Jackson Nakazawa, qui a consacré un livre d’enquête à ce sujet en 2022, estime que cela est dû à de multiples facteurs mais maintient que “les réseaux sociaux sont les principaux coupables et sont beaucoup plus toxiques pour les filles”.

  • Lire l’article de juin 2023 sur la BBC

Au Canada, la chercheuse Alexe Bernier trouve des chiffres similaires dans son pays concernant les adolescentes. “La réalité difficile des jeunes filles [au Canada] est généralement attribuée aux mêmes facteurs : normes de beauté irréalistes, pression des médias sociaux, culture du viol et, plus récemment, pandémie de Covid-19″, écrit-elle dans The Conversation Canada.

Revenant sur la situation des adolescentes américaines, la chercheuse relève un facteur plus rarement cité : “dans le cadre d’entretiens menés par le Washington Post avec des jeunes filles, celles-ci parlent également d’une autre cause, dont on a moins conscience : lorsqu’elles s’expriment, les jeunes filles ne sont pas écoutées ou prises au sérieux“.

“Cette réaction était souvent directement liée au fait qu’elles étaient des filles et accompagnée d’affirmations selon lesquelles elles traversent simplement une phase, ne racontent pas exactement ce qui s’est passé ou dramatisent, poursuit la chercheuse […]. Lorsque des jeunes filles racontent ce qui se passe dans leur vie, notamment si elles ont été victimes d’une agression sexuelle ou si elles ont des pensées suicidaires, ces préjugés sont particulièrement dangereux”.

Et la chercheuse d’avancer une solution : “Pour améliorer la vie des filles au Canada et ailleurs, il faut d’abord réfléchir de manière critique à ce qui fait en sorte que l’on a tendance à ignorer et à invalider leurs préoccupations. Remettre en question nos préjugés sur la crédibilité des filles est une première étape essentielle de ce processus”.

En France, la  question du consentement aux rapports sexuels a été documentée dès 2020 par l’association féministe Nous Toutes. Les réponses de 96 600 femmes à un questionnaire anonyme sur ce sujet, réalisé en ligne, ont été analysées. Les résultats peuvent apporter un éclairage quant au mal-être actuel des jeunes filles. “Pour 1 femme sur 6, l’entrée dans la sexualité se fait par un rapport non consenti et désiré, indique l’enquête. Pour 36% de ces répondantes, ce rapport a eu lieu avant leurs 15 ans”. 

  • Consulter les résultats de l’enquête sur le site de Nous Toutes

Peut-on penser qu’en France, les collégiennes et lycéennes sont affectées par le fait que le sexisme perdure, y compris dans la jeune génération ? Cette réalité est établie, en tout cas, par le rapport 2024 du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, mis en ligne le 22 janvier. “Le sexisme reste prégnant, s’aggravant même d’une année sur l’autre dans certaines catégories de population, indique le Haut Conseil. Chez les jeunes adultes masculins, mais aussi parfois chez les femmes, on observe un retour aux valeurs traditionnelles […]. Plus d’un homme sur 5 de 25-34 ans considère normal d’avoir un salaire supérieur à sa collègue à poste égal.”

“Par ailleurs, les violences sexistes et sexuelles ne reculent pas, indique le Haut Conseil. 37% des femmes déclarent toujours avoir vécu une situation de non-consentement, un chiffre qui grimpe à plus de 50% chez les 25-34 ans. Chez les hommes, les réflexes masculinistes persévèrent : un quart des 25-34 ans pense qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter”.

CREDITS

Veille de l’actualité en santé mentale : équipe Psycom
Choix du sujet en comité éditorial : Estelle Saget, Alexandra Christine, Cyril Combes, Léa Sonnet, Aude Caria (Psycom)
Rédaction : Estelle Saget (Psycom)