[REVUE DE PRESSE] Que se passe-t-il chez les anciens ? Il y a eu davantage de suicides chez les hommes de 85 à 94 ans en 2022, que l’année précédente. Les chiffres, publiés le 25 février par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) dans le rapport de l’Observatoire national du suicide, interrogent. L’autorité nationale qui produit de nombreuses statistiques sur la santé avance des explications, les médias aussi.
Ainsi, pour les hommes très âgés, le taux annuel de suicides atteint 86 pour 100 000 habitants, ce qui représente une hausse de neuf points en un an, précise le journaliste de France Télévisions Yann Thompson.
Les chercheurs de l’Observatoire constatent dans leur rapport que « les éléments de compréhension du développement du risque suicidaire au grand âge font cruellement défaut aujourd’hui », appelant à « lever le voile sur un tabou ». Ils notent cependant que des sociologues ont établi que l’entrée en EHPAD ou tout autre changement radical de vie (par exemple le veuvage) pouvait pousser des hommes à ce geste parce qu’ils perdaient leur pouvoir de décision et leur indépendance.
Les stéréotypes de genre pourraient jouer un rôle. « La disparité des taux de suicide entre hommes et femmes est en partie attribuable aux stéréotypes liés à la masculinité auxquels les hommes sont confrontés, tels que la force, la virilité ou l’indépendance, et qui les empêchent souvent de chercher de l’aide en cas d’épisode dépressif », ajoutent les chercheurs.
- Télécharger le rapport sur le site de la DREES
- Lire l’article du journaliste Nathan Tacchi sur Le Point
Les témoignages d’hommes de cet âge sur leur santé mentale sont rares dans les médias. Parce qu’ils sont peu interrogés ? Dans le journal télévisé de France 2, Yves Malaurie, 89 ans, ancien postier et militant associatif, représentant des résidents de l’Ehpad du centre hospitalier de Périgueux (Dordogne), raconte qu’il a choisi d’y entrer pour accompagner sa femme, dépendante car atteinte de la maladie de Parkinson, et qu’il s’y trouve bien.
Les chiffres de l’Observatoire sont à remettre dans le contexte du débat en cours sur la légalisation de « l’aide active à mourir », qu’il s’agisse de l’euthanasie ou du suicide assisté. Les travaux menés par des sociologues, cités plus haut, “n’épuisent pas les sujets du mal-être et de la mort volontaire chez les personnes âgées, qui gagnent à être appréhendés dans le cadre d’une réflexion large sur les représentations de la fin de vie, les conséquences de polypathologies invalidantes et la perte d’indépendance”, indiquent les chercheurs dans leur rapport.
Au-delà de la question du genre, ils ont tenté d’éclaircir les liens entre le suicide (non assisté) et le suicide assisté. Dans les pays où ce dernier est autorisé, « on ne semble pas observer d’effets de report des suicides vers les dispositifs d’aide active à mourir ». Le taux de suicide ne baisse pas dans ces pays, « ce qui implique que ce sont des catégories de population différentes qui meurent selon ces deux modalités ».
Par ailleurs, l’Observatoire note que « lorsque l’aide active à mourir existe, toutes les demandes de mort sont loin d’aboutir et, dans certains cas, la possibilité de recourir à l’aide active à mourir permet un début de prise en charge du mal-être, ouvrant une perspective, certes contre-intuitive, de prévention du suicide ».
La Haute autorité de santé a publié en 2014 des recommandations pour la prise en compte de la souffrance psychique des personnes âgées, rappelle la psychiatre et gériatre Véronique Lefebvre des Noëttes dans son article consacré au tabou du suicide chez les seniors.
- Lire son article publié en 2024 sur The Conversation
- L’écouter dans l’émission du 9 janvier 2025 sur la radio chrétienne RCF
De son côté, le psychiatre Florian Porta Bonete, chef de service au Centre hospitalier Charles Perrens à Bordeaux, estime que “la dépression du sujet âgé est une pathologie fréquente, souvent sous-diagnostiquée et sous-traitée, sous prétexte qu’il serait acceptable d’être triste parce qu’on vieillit”.
Le médecin rappelle dans sa tribune que le vieillissement de la population entraîne “des défis conséquents, notamment en matière d’équilibre financier des comptes de la Sécurité sociale”. Il cite des évolutions “régulièrement préconisées par la Société francophone de psychiatrie de la personne âgée”, telles que mieux former les psychiatres aux enjeux de l’âge, développer une offre de soins adaptée (les équipes mobiles notamment), encourager la recherche et l’innovation, y compris en psychothérapies et en interventions sociales.
- Lire sa tribune du 9 février dans le quotidien catholique La Croix
Face au suicide des personnes âgées, on constate deux lectures opposées de la situation : les pro-suicide assisté voient dans la légalisation de cette pratique un moyen de contrecarrer l’acte violent, quand les anti-suicide assisté y voient la marque d’un manque de prévention. Pour éviter que le sujet soit instrumentalisé, la journaliste Sarah Boucault a donné la parole aux chercheurs. Selon eux, les données manquent encore pour dire si ces suicides devraient être vus comme des actes de désespoir, ou comme des projets de fin de vie, choisis, discutés avec l’entourage.