Et si la santé mentale devenait "grande cause nationale" ?

Publié le 30/09/2024
Le premier ministre Michel Barnier a annoncé son intention d'attribuer ce label à la santé mentale pour 2025. Voici ce qu'on peut en attendre.

[REVUE DE PRESSE] Le Premier ministre Michel Barnier a affirmé le 22 septembre, lors de sa première interview après l’annonce de son gouvernement, qu’il souhaite faire de la santé mentale la « grande cause nationale » en 2025. L’attribution du label à ce thème pour l’année à venir doit encore être confirmée. Cependant, cette déclaration a, déjà, suscité de nombreuses réactions, qu’il s’agisse d’espoirs ou d’inquiétudes.

Première question abordée par les médias : ça apporterait quoi, concrètement ? Ce label est, d’abord, un coup de projecteur porté sur un sujet d’intérêt général. “Créé en 1977, le label « grande cause nationale » est décerné à un thème de société porté par des organismes à but non lucratif ou associations et permet notamment une visibilité accrue via des messages sur les radios et télévisions publiques”, rappelle l’Agence France Presse (AFP). L’égalité entre les femmes et les hommes avait été affichée comme grande cause en 2017, puis en 2022. Cela « ne se traduit encore que par des avancées limitées », a jugé la Cour des comptes en 2023.

Avec des campagnes de sensibilisation en 2025, il pourrait se produire une prise de conscience, à l’échelle de la société : tout le monde a une santé mentale, et il est important d’en prendre soin. « Cette mise en visibilité peut aider à ce que les malades se sentent moins seuls », avance Charles-Edouard Notredame, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent au CHU de Lille, à la journaliste de 20 Minutes Lise Abou Mansour.

Par ailleurs, le label “grande cause nationale” pourrait-il apporter davantage de moyens à la santé mentale ? Cette demande a été formulée par des professionnels de la santé mentale, des syndicats ou des associations. Mais dans le contexte d’un important déficit public de la France, certains doutent de décisions allant dans ce sens. “Après son annonce, Michel Barnier n’a rien précisé concernant un éventuel plan national, des groupes de consultations ou la date des premières mesures”, note le journaliste de France Bleu Antoine Comte. 

Certains professionnels de la santé mentale espèrent que le label suscitera de l’intérêt pour leurs métiers, facilitant par exemple le recrutement de psychiatres ou d’infirmiers. C’est aussi le vœu d’Angèle Malâtre, déléguée générale de l’Alliance pour la santé mentale. Cette association coordonne le collectif  “Santé mentale Grande Cause nationale 2025” constitué pour défendre le projet de labellisation (Psycom fait partie du comité de pilotage de ce collectif). L’attribution de la grande cause pourrait améliorer “l’attractivité de la discipline – la psychiatrie”, explique-t-elle à la journaliste du Figaro Anne-Emmanuelle Isaac.

En défendant le label, le collectif vise trois objectifs : informer, prévenir et déstigmatiser sur le sujet. “Lever le tabou autour de la santé mentale, c’est permettre d’en parler plus tôt, de limiter l’aggravation des situations”, affirme Angèle Malâtre à la journaliste du Nouvel Obs Marie Fiachetti. Interrogée sur les écueils à éviter, elle précise : “La ligne de crête sera vraiment de ne pas parler uniquement de psychiatrie”.

  • Lire ses réponses et celles de Jean-Philippe Cavroy, délégué général de Santé mentale France, sur Le nouvel Obs

Deuxième question abordée dans les médias : comment Michel Barnier a-t-il eu cette idée ? Lors de sa déclaration, le Premier ministre a évoqué le rôle de sa mère, aujourd’hui décédée, qui a “pendant 35 ans été présidente d’une association en Savoie qui existe au niveau national, l’Unafam” [Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques]. Mais quelques mois plus tôt, le Premier ministre précédent Gabriel Attal avait lancé la piste, déjà, annonçant qu’il souhaitait faire de la santé mentale des jeunes sa priorité.

Plus tôt encore, dès mois de mars, le collectif “Santé mentale Grande cause nationale 2025” avait mené sa première action, une pétition pour mobiliser autour de son projet.  “Depuis plusieurs mois, un large collectif d’acteurs du secteur représentant plus de 3 000 structures travaillant dans la santé mentale au sens large plaide pour cette cause nationale”, indique la dépêche de l’AFP citée plus haut. 

Sur le fond, que pensent les citoyens, les éditorialistes, de cette idée de “grande cause” ? Le quotidien Les dernières nouvelles d’Alsace y a consacré son éditorial. “Dans une société où la santé physique prend encore largement le pas sur la santé mentale et où les troubles psychiques sont encore trop souvent nimbés de honte, la thématique sélectionnée par le nouveau Premier ministre s’accommodera aisément de faire l’objet d’une plus grande attention“, écrit Hélène David.

Et la journaliste de poursuivre : “Car c’est aussi de communication, puisque c’est avant tout de cela qu’il s’agit, dont a besoin cette nouvelle « grande cause nationale » pour que progresse la prévention, que soient identifiées, reconnues et traitées les souffrances de l’esprit et que soient battus en brèche les tabous, les préjugés voire la stigmatisation qui les entourent. “

“Des budgets, pas des annonces” titre de son côté le quotidien La Marseillaise. La rédactrice en chef adjointe Angélique Schaller s’inquiète que la “grande cause” puisse en rester à un effet d’annonce. “La psychiatrie reste le parent pauvre d’un hôpital public lui-même très mal en point, écrit-elle. […] Alors, banco pour la grande cause nationale. Mais avec des crédits à la hauteur, une rupture avec les choix libéraux et dans le respect des patients, comme des soignants”.

Une semaine avant l’annonce du Premier ministre, le collectif d’usagers de la psychiatrie Comme des fous avait exprimé son point de vue sur le projet de “grande cause”. “Le discours est performatif et rassembleur, on ne peut pas être radicalement contre, lit-on dans son post Facebook du 15 septembre. Mais il ne conscientise pas les problématiques des personnes psychiatrisées ni les questions structurelles et donc à proprement politiques qui déterminent nos vies. Derrière le mot apolitique [utilisé par l’Alliance pour la santé mentale] se cachent en fait toutes les contradictions du monde associatif français qui ségrègue les patients par pathologies, qui confie aux familles le droit à revendiquer pour leurs proches trop fragilisés, sans perspective de transformation sociale et libératrice”.

Et le collectif d’ajouter : “A quoi bon prévenir et déstigmatiser quand on ignore les contradictions sociales et les injonctions à aller bien dans une société qui creuse les inégalités et fragilise les personnes qu’elle prétend aider. La démocratie et la politique ne devraient pas se réduire à une bonne campagne de communication”.

CREDITS DE CETTE REVUE DE PRESSE

Veille de l’actualité en santé mentale : équipe Psycom
Choix du sujet en comité éditorial : Aude Caria, Alexandra Christine, Cyril Combes, Estelle Saget, Léa Sonnet (Psycom)
Rédaction : Estelle Saget (Psycom)