Agriculteurs : ce qui est fait pour leur santé mentale

Publié le 20/01/2025
Pour prévenir le suicide, élevé dans cette profession, on forme des sentinelles chargées de repérer les personnes qui vont mal. Les agriculteurs eux-mêmes imaginent de nouvelles formes d'entraide.

[REVUE DE PRESSE] Les actions de protestation des agricultrices et des agriculteurs ont repris en janvier, sur fond de ce qu’on nomme de façon large le “mal-être agricole”. Leurs syndicats ont été reçus le 13 janvier par le Premier ministre, François Bayrou. Dans ce contexte, de nombreux médias se demandent comment vont les agriculteurs, ce qui est fait pour leur santé mentale, mais aussi ce qu’ils font, eux, pour la préserver. 

Les chiffres le disent : dans ce métier, le risque de suicide est plus élevé que la moyenne. Le sénateur écologiste Yannick Jadot avait notamment affirmé que “deux agriculteurs se suicident par jour”. C’est “plutôt vrai”, estimaient il y a un an les journalistes de la cellule Vrai ou Faux de France Info, après avoir recoupé les études disponibles. 

  • Ecouter l’épisode du podcast Vrai ou faux sur France Info

A l’origine de ce mal-être, des causes très différentes parmi lesquelles le sentiment de dénigrement (en lien avec l’utilisation des pesticides et les pratiques agricoles intensives), ou encore la nécessité de s’adapter aux changements climatiques. Sophie Cot Rascol, psychologue travaillant aux côtés de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), le régime de sécurité sociale du monde agricole, précise au journaliste Antonin Bodiguel : “L’instabilité des revenus, les contraintes économiques et l’endettement sont des sources de stress majeures”. Mais l’isolement social joue aussi un rôle prépondérant.

  • Regarder l’entretien avec Sophie Cot Rascol sur France Info
  • Sur le même sujet, lire l’entretien avec la sociologue Dominique Jacques-Jouvenot avec le média Basta !

Ce sont peut-être les enfants d’agriculteurs qui en parlent le mieux, et souvent avec humour. Au lycée agricole de Tourville-sur-Pont-Audemer (Eure), une discussion a été organisée autour de la santé mentale. Dans la famille de l’un, en cas de cafard, il y a une thérapie spéciale, note la journaliste Emma Grivotte : “Prends le vieux Kangoo [un véhicule utilitaire] et va faire un tour dans le champ !”

Pour les adolescents, le premier levier pour se préserver est “la solidarité”. Lors des récoltes, certaines agricultrices et agriculteurs s’entraident. “Après, quand le soir on mange tous ensemble, on rigole et on passe de bons moments”, souligne Antonin.

  • Lire leurs points de vue dans L’Eveil de Pont-Audemer sur Actu.fr
  • A Marseille aussi, on s’entraide entre maraîchers, un reportage de Eliza Amouret à lire sur Reporterre

Un plan sur la prévention du mal-être en agriculture a été lancé il y a deux ans. Questionné sur ses résultats, le coordinateur national Olivier Damaisin, ancien député du Lot-et-Garonne, répondait en novembre 2024 aux journalistes de Ici Hérault (ex France Bleu) : “Il y a eu de nombreuses mesures mises en place […], mais il y avait tellement de retards depuis 30 ans”.

Parmi les mesures prises de longue date, des personnes sentinelles bénévoles formées par la MSA sont chargées de repérer les signes de détresse psychologique afin de prévenir les suicides. Depuis 2001, 1350 “sentinelles” ont été formées en Finistère et Côtes-d’Armor. Marie, agricultrice et sentinelle, témoigne : “Le but est d’essayer de parler [à chacun] en tête-à-tête et de lui demander : je vois que tu ne vas pas bien, est-ce que tu as besoin d’aide ?”

Un autre dispositif baptisé Réagir, mis en œuvre par les professionnels du secteur avec le soutien de l’Etat, vise à soutenir les agriculteurs en cas de difficultés financières. Dans la Marne, il existe depuis 12 ans. Accompagné par le dispositif, Florent Herbin a dû faire des choix difficiles, renoncer à l’élevage de porcs pour se concentrer sur ses terres en polyculture. “Tout était plutôt noir, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, je retrouve du plaisir à travailler. J’ai réussi à passer le cap et ça va beaucoup mieux.” 

De son côté, l’association Solidarité Paysans s’efforce, un peu partout en France, de soutenir les agriculteurs en difficulté. “Avant tout, ce dont ils ont besoin c’est de rompre leur isolement“, explique Hélène Pons-Gralet, présidente de l’association pour les Pyrénées Orientales, à la journaliste Marie Rouarch. La plupart des bénévoles sont eux mêmes agricultrices ou agriculteurs. 

On comprend mieux pourquoi beaucoup d’agriculteurs se taisent, en écoutant ceux qui ont intégré un groupe de parole organisé par la MSA à Cahors (Lot). “[Les participants] disent qu’ils ne peuvent pas parler de leurs difficultés au voisin, sinon ils vont tout de suite avoir un comportement de ‘vautours’, raconte la psychologue Evelyne Fillol. C’est le terme qu’ils emploient [pour désigner la volonté d’étendre leurs terres]”.

Un syndicat, la Confédération paysanne du Calvados, a lancé en novembre 2024 un groupe de paroles réservé aux agricultrices. “On se sent moins jugées dans un groupe de femmes”, témoigne Laura Marie, l’une des participantes, auprès des journalistes Mélanie Leblanc et Camille Perriaud. 

Il existe, aussi, des séjours de répit pour les agriculteurs en épuisement professionnel. Claire Miharan, éleveuse de charolaises, raconte : “On est tellement dans le boulot, le stress, on est toujours à penser à 30 000 choses à la fois, que ce repos nous permet de souffler. Comme tout entrepreneur, on a toujours des soucis”.

  • Lire le reportage sur France 3 Auvergne Rhône Alpes
  • Et si on diminuait plutôt le temps de travail ? Des agriculteurs l’on fait à Clermont-l’Hérault (Hérault), raconte la journaliste Lorène Lavocat sur Reporterre

CREDITS DE CETTE REVUE DE PRESSE

Veille de l’actualité en santé mentale : équipe Psycom
Choix du sujet en comité éditorial : Estelle Saget, Cyril Combes, Léa Sonnet, Aude Caria (Psycom)
Rédaction : Estelle Saget (Psycom)